Littérature espagnole - XVIIIe siècle
| El sí de las niñas (1806) de Leandro Fernández de Moratín
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La jeune Francisca, élevée dans un couvent, est destinée
par sa mère sans ressources, doña Irene, à un riche sexagénaire,
Don Diego. Elle appelle à son aide un jeune militaire, Don Carlos, dont
elle s’éprend. Or, les deux prétendants sont en réalité
oncle et neveu. Respectueux des conventions sociales et de l’autorité
parentale, Don Carlos cède la place à son oncle et rival, qui,
à son tour, renonce à la main de la jeune femme et donne sa bénédiction
au jeune couple.
El sí de las niñas pourrait être considérée
comme la meilleure comédie du néo-classicisme et comme fondatrice
de la comédie espagnole moderne. Représentée en 1806 vingt-six
jours de suite – chiffre tout à fait exceptionnel pour l’époque
–, la pièce offre un ton doux et émouvant, aisément adaptable
à la thèse morale défendue.
El sí de las niñas est une dénonciation des parents
qui obligent leurs filles à épouser des hommes généralement
plus âgés en raison de convenances sociales au XVIIIe siècle.
L’argument de la pseudo-liberté contenu dans la pièce repose donc
sur des préoccupations telles que le respect des normes et des impératifs
sociaux, le droit au mariage par amour, le difficile équilibre entre
l’autorité parentale et la liberté des enfants, et le rôle
de la femme dans la société.
Nous sommes à même de nous demander si le thème principal
est uniquement la liberté de choix des femmes et si réellement
Fernández de Moratín opte en faveur d’une telle revendication.
En effet, s’il met en avant une critique de l’éducation stricte et peu
formatrice des femmes ainsi qu’une revendication de la liberté de choix
d’un mari, soutenue dans les propos de Don Carlos, la véritable critique
de Fernández de Moratín est faite à l’encontre du mariage
inégal ou irrégulier. Il faut rappeler qu’à l’époque,
de nombreux articles traitant du rôle de la femme au sein de la famille,
de son droit à l’éducation, étaient publiés dans
les journaux. Le contexte historique fait surtout pencher certains critiques
vers cette thèse. En effet, un Ordre édicté par le roi
Carlos III (Pragmatique du 23 mars 1776) stipule l’obligation pour tous les
enfants âgés de moins de 25 ans de se conformer à la décision
parentale concernant les possibilités de contracter un mariage. Doña
Francisca n’atteint pas cet âge et la renonciation de Don Diego constitue
alors une solution au problème que présente la législation
avec cet Ordre. Peut-être conviendrait-il de voir au-delà : une
possible allusion aux limites de l’autorité monarchique quelque peu paternaliste
et à l’autonomie des sujets du roi.
On retient plusieurs sources d’inspiration pouvant être à l’origine
de l’écriture de cette comédie : Entre bobos anda el juego de
Rojas Zorrilla ou encore Le traité nul, comédie en un acte et
en prose, mêlée d’ariettes de M. Marsollier de Vivetières
et M. Gavaux, dont une traduction parcourait l’Espagne.
Dans sa biographie, son ami Melón mentionne un fait qui aurait également
pu influencer la rédaction de la pièce : jeune homme, l’auteur
était tombé amoureux de Sabina Conti qui était promise
à son cousin germain, l’écrivain Gianbattistta Conti, quadragénaire.
Dans cette pièce, Fernández de Moratín adopte les courants
culturels les plus importants de son époque. La structure formelle est
liée aux normes du néo-classicisme qui reflète l’orientation
francisée de l’auteur, commune au intellectuels espagnols cultes et libéraux
d’avant 1808. On peut y retrouver des tendances artistiques parallèles
à la tendance politique centralisatrice imposée en Espagne par
la dynastie des Bourbon, d’origine française.
L’acte III, en particulier, peut amener une réflexion sur l’influence
d’Aristote dans le modèle théâtral : Fernández de
Moratín a recourt à l’unité dramatique de temps, de lieu
et d’action.
Quant au contenu, il se rapproche du rationalisme du XVIIIe siècle et
du pré-romantisme car les droits sentimentaux représentent un
argument au caractère intellectuel. Si Don Diego favorise l’union du
jeune couple – davantage en accord avec la nature –, ce n’est pas sans une certaine
mélancolie, reflet de la nouvelle sensibilité du début
du XIXe siècle. Dans la dernière scène, le personnage suggère
une refonte des conventions et contre-indique l’excès de l’autorité
:
"Él y su hija de usted estaban locos de amor, mientras que usted
y las tías fundaban castillos en el aire, y me llenaban la cabeza de
ilusiones, que han desaparecido como un sueño... Esto resulta del abuso
de autoridad, de la opresión que la juventud padece; éstas son
las seguridades que dan los padres y los tutores, y esto lo que se debe fiar
en el sí de las niñas..."
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