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Siècle d'Or










Littérature espagnole - Siècle d'Or

Don Quichotte - tome I (1605)
de Miguel de Cervantes Saavedra
Don Quichotte est certainement le premier best-seller de l’édition après la Bible et l’un des rares livres à avoir connu une diffusion universelle, et ce n’est pas sans égard symbolique qu’il a été le premier livre édité par l’Imprimerie nationale cubaine, lors de sa création en 1960.
L’œuvre est une invective contre les livres de chevalerie, visant à détruire leur crédit et leurs inepties acquises de par le monde.
Ecrit probablement entre 1598 et 1604, il est publié pour la première fois en 1605 par l’imprimeur madrilène Juan de la Cuesta. Deux mois après sa sortie, le roman est épuisé et, malgré une deuxième édition, quatre éditions pirates paraissent déjà à Lisbonne et à Valence. Dès 1607, la présence d’une version est signalée au Pérou. Une deuxième partie a paru en 1615.

Le livre, éclipsé par le mythe, prétend être la traduction d’un original arabe rédigé par l’historien Cid Hamet Benengeli. Le livre raconte l’histoire d’Alonso Quijano, imaginaire gentilhomme campagnard qui s’adonne à la lecture des romans de chevalerie. Son engouement est tel que son imagination s’accroît au fil de ses lectures et qu’il fait siens les idéaux pour lesquels les chevaliers errants se battaient : idéaux de paix, de justice, d’amour… Il se sent appelé à les réaliser, accompagné de son fidèle écuyer, Sancho Pança, se voyant déjà idéalisé dans un livre qui exalterait ses futurs exploits. Dès lors, le roman se transforme en une représentation d’un monde plus vaste et plus complexe. A la générosité et à la grandeur morale de don Quichotte, s’opposent le réalisme et l’égoïsme pratique de Sancho Pança. Un dualisme identique apparaît entre l’homme en proie à un sentiment vibrant, et l’esclave attaché à son instinct et empiriquement accroché aux objets du réel. L’idéal de beauté semble démentir l’affligeante réalité dans la survie aux déceptions et l’action d’enchanteurs voués à la perte du héros représente le recours permettant d’expliquer les déconvenues subies.

La structure du roman s’articule autour de quelques épisodes majeurs : la folie du héros, ses préparatifs, sa consécration de chevalier à l’auberge, son retour au village, en quête d’un écuyer, son départ en sa compagnie, les rencontres faites au gré des voyages et les épisodes dont le mouvement pendulaire fait osciller entre l’illusion et la réalité, entre le sublime et le grotesque.
Le lecteur pénètre dans un univers multiple où les plans se chevauchent et où les récits s’imbriquent, balancé par le jeu des points de vue et les destins contrastés. Le narrateur se dérobe derrière des êtres de fiction. Le récit serait l’œuvre de deux auteurs (chapitre 8) : on ne dira jamais qui est le deuxième auteur, né de la volonté de parodier un procédé des livres de chevalerie.
Au chapitre 9, le narrateur prétend avoir découvert à Tolède la suite de l’histoire des aventures de don Quichotte, composée par Cid Hamet Benengeli (une sorte de prête-nom), qu’il fait traduire par un maurisque. Derrière un jeu de prolifération de voix narratives, se trouvent donc dilué un discours cervantin éclaté, fragmenté et une série d’allusions pas toujours aisées à décrypter. Les histoires interpolées permettent toutefois une rencontre de la vie et de la littérature.

Avec Don Quichotte, Cervantès sème les bases du roman moderne ou de la critique de la lecture. Comme l’Espagne de la Contre-Réforme, don Quichotte navigue entre deux eaux. Don Quichotte est un chevalier de la foi, d’un l’Idéal provenant d’une lecture, qui est une folie. La lecture est le détonateur d’un processus visant à la transférer à une réalité qui est devenue multiple, équivoque, ambiguë. Seul maître de cette lecture, don Quichotte l’est aussi d’une identité : celle du chevalier errant et héros antique.

Parfois ce qui est représenté commence à ressembler dangereusement à l’imaginaire parce que don Quichotte veut que l’imaginaire soit vrai (par exemple, la captivité de la princesse Mélisandre par les Maures). Don Quichotte vient de la lecture et y retourne, puisqu’il en est l’ambassadeur. D’ailleurs, pour lui, ce n’est pas la réalité qui s’interpose entre ses entreprises et la vérité mais se sont les enchanteurs qu’il connaît à travers ses lectures. Ainsi peut-il interpréter les désaveux du réel sans sortir du domaine de l’illusion.

Un 3e niveau de lecture de l’œuvre nous démontre que les choses sont différentes et que seule la réalité affronte la folle lecture. On le voit nettement lorsque don Quichotte affronte les moulins à vent qu’il considère comme des géants : don Quichotte lit et sa propre lecture lui dicte qu’il s’agit bien de géants. Il se refuse à regarder et s’obstine à vouloir intégrer le monde dans sa lecture qu’il doit considérer comme un code sacré pour le déchiffrer. Né de la lecture, don Quichotte se réfugie inévitablement dans la lecture après avoir encouru l’échec. Il n’est donc pas malaisé de supposer que la lecture, la folie (ou plutôt une imagination déréglée), la vérité et la vie sont des synonymes chez le personnage. Le lu et le vécu doivent absolument coïncider.

Don Quichotte - tome II (1615)
de Miguel de Cervantes Saavedra
Le mois de septembre 1614 est marqué par la publication à Tarragone d’un Don Quichotte apocryphe dû à un certain Alonso Fernández de Avellaneda – qui est un pseudonyme – pour profiter du succès de la première partie du livre de Cervantès.
La deuxième partie du Don Quichotte de Cervantès se présente comme le récit développé, analyste et interprétatif de la première partie, portant le roman à son point de perfection.
Cervantès incorpore volontairement cette suite apocryphe à la substance même de son propre récit afin de déjouer les fables dont sont victimes les héros de l’histoire.

Quelques épisodes épiques marquent le temps fort de la nouvelle action : l’arrivée au Toboso et l’enchantement de Dulcinée, le combat avec le chevalier du Bois, la descente dans la caverne de Montesinos, les tréteaux de Maître Pierre. La participation directe des deux héros (don Quichotte et Sancho Pança), où ils manifestent notamment leur existence à tous ceux qui ne les connaissaient qu’à travers la lecture de la première partie, est surtout remarquable lors de la description du séjour effectué chez le Duc et la Duchesse qui se divertissent aux dépens de leurs hôtes et les embarquent dans des péripéties préparées par leurs soins. Les deux personnages ne sont alors plus de simples témoins ou auditeurs comme dans la première partie et don Quichotte n’a plus à inventer son propre monde fait d’apparences, par effet de déraison. L’univers se transforme alors en trompe-l’œil et, fait troublant, la réalité historique coïncide avec le rêve. Le nouveau niveau de lecture intervient donc lorsque Sancho apprend à don Quichotte qu’il existe un livre intitulé L’ingénieux hidalgo don Quichotte de la Manche, dévoilant des personnages et des péripéties identiques à ceux du roman que nous lisons. Le récit de leurs aventures court le monde et les deux protagonistes savent désormais qu’ils agissent sous le regard d’un narrateur attentif, ce qui crée une situation d’écriture pour le moins originale. Le lecteur est maintenant pratiquement assimilé à un Dieu capable de juger de leurs faits et gestes.

Les signes de la singulière personnalité de don Quichotte se multiplient et le personnage critique la version d’Avellaneda. L’existence de cet autre livre sur lui le fait changer de route et aller à Barcelone pour démentir ce moderne historien. Maître et serviteur se montrent soucieux de se démarquer des légendes colportées à leur sujet et, paradoxalement, vivent de la renommée de leur propre renommée. Manifestement, c’est la première fois dans l’histoire de la littérature qu’un personnage sait qu’on est en train de l’écrire en même temps qu’il vit ses aventures. Don Quichotte, le lecteur, se sait lu. Sa foi dans les lectures épiques lui permet de supporter toutes les rossées de la réalité. Double victime de sa lecture, don Quichotte perd deux fois la raison : quand il lit et quand il est lu. Ce qui le conduit à vérifier sa propre existence. Dans son rôle de lecteur, son obsession de transférer à la réalité ses lectures épiques échoue. En revanche, en tant qu’objet d’une lecture, il commence à vaincre la réalité, à la contaminer de sa folle lecture. La singulière création polyvalente de Cervantès se pose donc là, dans le développement d’un perpétuel vagabondage entre l’être vivant et l’être de papier. On peut se demander ici, dans cet acharnement à signifier la vie, comme dans ce vertige cher à Borges, si nous ne sommes pas, nous aussi, des êtres de fictions.

Cervantès refuse de ménager une paisible vieillesse à don Quichotte dans le dessein d’interdire aux émules d’Avellaneda de se saisir à nouveau du personnage. Le personnage ridicule à la "triste figure", au sens où le castillan employait jadis cette expression, fait place à un être redevenu plus lucide, découvrant autour de lui une réalité triste et sans charme. C’est devant cette vision que don Quichotte sent arriver le trépas.
La désillusion de la raison, la tristesse de la réalité admettent cette synthèse entre le passé que don Quichotte perd et le présent qui l’annule. Don Quichotte souffre d’une nostalgie du réalisme, mais du réalisme nourri par des aventures impossibles et extraordinaires. Avant, ce qui était dit était vrai. Le personnage n’arrive plus à cohabiter avec tout ce qui existe en dehors de son univers.
Au fur et à mesure que se dévoile un semblant de compréhension de l’ouvrage, nous passons d’un roman comique, d’une épopée burlesque à un roman basé sur une question transcendantale. Nous continuons à sourire des aventures burlesques, en même temps que nous nous interrogeons sur le thème de la folie devenue source d’inquiétude. Le double mouvement défini entre l’affrontement d’un monde et celui qui se dérobe continue à creuser l’écart entre le réel et sa représentation, sur un ton de franche polémique.


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